Lac de Neuchâtel : prospections aériennes à la découverte des palafittes de l'âge du Bronze final (1066 à 850 av. J.-C).

Avec Fabien Droz (aérostier) et Raphaëlle Javet (étudiante uni-NE)

Le lac de Neuchâtel, le plus grand entièrement suisse, a une superficie de 218 km2. Après la fin des derniers habitats littoraux du Néolithique vers 2400 av. J.-C, une longue période s'écoule avant que l'on assiste à deux brèves réoccupations de ses rives, à la fin du Bronze ancien à Auvernier et à Concise. Une recolonisation complète du littoral n’est effective qu’avec l'implantation des premiers villages du Bronze final, qui débute, sur la rive sud, dès 1066 av. J.-C. Une série de prospections en dirigeable  à air chaud a été organisée avec l'aérostier Fabien Droz pour compléter notre documentation photographique des villages lacustres immergés. Le dernier vol a été effectué, le 06 mai, dans la région de Concise.

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Une réoccupation des rives en symbiose avec le lac

Le niveau moyen du lac de Neuchâtel pendant l’âge du Bronze a fortement fluctué. Ces variations ont eu des incidences significatives sur le choix de l’emplacement des nouveaux villages à construire et sur la structure de l'habitat. Le long du littoral des grands lacs, les maisons comprenaient souvent un plancher suffisamment surélevé pour préserver les habitants des hautes eaux. Au bord du lac de Neuchâtel, les maisons sont bâties sur pieux porteurs, les bois sont profondément fichés dans la craie lacustre. Cette technique permet une grande stabilité de l’ossature de la maison. Le plan rectangulaire des maisons varie et les particularités régionales sont nombreuses. Les villages montrent un plan ordonné d’un habitat groupé, qui témoigne d'une structure sociale dépassant le cercle restreint de la maisonnée et du village même.

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Le plan très régulier de la station de Bevaix-Sud sur la rive nord (publicationsest le résultat d’une réflexion préalable et le suivi de lignes directrices. Une opération « d'arpentage » avant la construction des structures a pu être mise en évidence pour l'âge du Bronze. Des bois ont été plantés pour définir des espaces, à partir d’un axe de référence constitué de pieux et placé suffisamment loin du centre du village pour ne pas gêner les constructions futures.

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L’organisation territoriale et sociale

Les palafittes à l'âge du Bronze final se concentrent dans les baies principales du lac et l'occupation est caractérisée par l'installation de plusieurs villages proches les uns des autres. Ces villages, fonctionnaient-ils en même temps ou se sont-ils succédé dans le temps ? Faisaient-ils partie de la même communauté ? Autant de questions qui peuvent trouver des réponses grâce à l’étude du bois et aux datations  dendrochronologiques, précises à la saison près, qui permettent de définir la durée d'occupation de ces villages et leur ordre chronologique d'implantation.

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Les villages fondateurs et les villages satellites (HaB1 et B2)

Il existait, le long du littoral plusieurs baies occupées de façon intensive pendant cette période (Bevaix, Cortaillod, Auvernier, Neuchâtel, Hauterive, Concise, Chabrey, Autavaux...). Elles ont été colonisées, sur la rive nord, vers 1057-56 av. J.-C. par l'implantation de villages, que nous appelons « fondateurs » et qui vont perdurer presque pendant toute la période du Bronze final (1057-871 av. J.-C.).

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Pour la rive sud du lac, l'installation est plus précoce, puisqu’elle se situerait une dizaine d’années plus tôt et coïncide avec les premières dates fribourgeoises trouvées au bord du lac voisin de Morat. Ces palafittes, par leur position, leur taille importante et leur durée d'occupation vont être le centre du développement d'une importante communauté au sein de chaque baie dont il constitue en quelque sorte le pôle et qui comprendra plusieurs villages contemporains, appelés « villages satellites ». Ces stations se différencient par une occupation plus limitée dans le temps. Leur localisation, dans le voisinage immédiat des "villages fondateurs", suggère une appartenance à une même communauté, Chacun remplissait peut-être un rôle bien précis dans l’organisation sociale et devait nécessairement, vu la configuration des lieux, exploiter le même terroir agricole et forestier. Ce modèle théorique d'occupation a été bien documenté dans la baie de Bevaix et trouve des parallèles remarquables dans les autres anses du lac.

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Les nouveaux villages (HaB3)

Ainsi, entre 878 et 871 av. J.-C., tous les villages fondateurs et satellites vont être abandonnés au profit de nouveaux villages localisés dans quelques baies uniquement et on assiste à un regroupement de la population. Ils sont caractérisés par une durée d'occupation très courte, d'une vingtaine d'années, mais ils occupent une surface très importante avec près de 60 maisons comme à Auvernier ou Cortaillod.

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C'est une nouvelle phase dans la dynamique d'occupation avec une restructuration de l'habitat qui se met en place conjointement entre les différentes baies. Une réorganisation du terroir n'est pas exclue. Les baies de Bevaix et d'Hauterive sur la rive nord sont abandonnées définitivement au profit d'un regroupement important dans les baies d'Auvernier, de Cortaillod et peut-être de Neuchâtel. Cet essor remarquable à l'extrême fin du Bronze final se retrouve dans le mobilier archéologique qui définit l'ultime phase de la chronologie du Bronze final, HaB3. La construction de villages sur de nouveaux emplacements induit également la présence d’un mobilier archéologique homogène, livrant ainsi des séries chronotypologiques de référence pour la dernière phase du Bronze final.

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Vers -850, soit trois décennies après leur création, ces nouveaux villages sont abandonnés, alors que les structures d'habitat doivent être encore dans un très bon état de conservation. Cet événement est peut-être la conséquence de l’importante péjoration climatique qui, alliant accroissement de la pluviosité et refroidissement, débute vers -850/-800 et atteindra son maximum entre -800 et -750 avec, comme conséquence, une remontée permanente du niveau du lac et un rendement réduit des surfaces agricoles. Le début de cette longue phase de refroidissement coïncide avec le début de l’âge du Fer.

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FIN

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