La portée géographique des référentiels dendrochronologiques

La dendrochronologie, c’est l’étude du temps par les arbres. La datation s'effectue grâce à la mise en place de référentiels. Un référentiel est une courbe qui illustre l’évolution de la croissance d’un arbre, cerne après cerne, année après année, pendant une période plus ou moins longue. Cette courbe, une fois calée chronologiquement, peut servir de base de comparaison pour dater les séquences issues de prélèvements de bois de la même essence (méthode de datation).

Sapin section01

Aujourd'hui, certains laboratoires possèdent de nombreux référentiels qui permettent de remonter le temps jusqu'en 4000 av. J.-C. Pour les périodes plus anciennes, les données à disposition ne sont plus aussi fiables et de nombreuses interrogations subsistent quant au calage chronologique des séquences de ces premiers arbres qui sont apparus après la fin de la période glaciaire. Dans le lac de Neuchâtel, de nombreux troncs de ces phases anciennes apparaissent au fur et à mesure de l'érosion de la plateforme littorale et sont utilisés par le laboratoire pour se rapprocher de l'époque où la végétation a recolonisé nos contrées après la disparition définitive de la glace.

Troncs post glaciaires

La création d'un référentiel est réalisée en partant d'arbres vivants qui sont échantillonnés par "carottage" pour mesurer les largeurs de leurs cernes annuels et, ensuite, le dendrochronologue remonte le temps en recherchant progressivement des bois de plus en plus vieux. Pour ce faire, il prospecte les bâtiments anciens et les sites archéologiques en récupérant les bois et en les analysant. Il faut un léger chevauchement du rythme de croissance entre les différentes courbes de croissance pour pouvoir les synchroniser entre elles et allonger notre référentiel.

Dessin referentiel

Les référentiels dendrochronologiques peuvent-ils avoir une portée universelle ? Au début du développement de la méthode, les chercheurs avaient tendance à répondre par l'affirmative.  Le climat est déterminé, non seulement par des paramètres régionaux ou locaux, mais également par des cycles, comme celui du soleil, qui peuvent influencer la croissance des végétaux. Reste à savoir si dans nos séquences dendrochronologiques actuelles, ce signal de longue portée géographique peut être identifié grâce aux calculs mathématiques utilisés pour corréler des courbes entre elles. Les signatures (ou cernes diagnostiques) sont des cernes qui reflètent des conditions particulières et qui se retrouvent sur la quasi-totalité des échantillons; elles peuvent avoir une portée régionale ou continentale. Elles sont alors le reflet d’un événement climatique particulier qui a été ressenti à large échelle par les arbres.

Sequoioa

La rénovation, à l'aide de bardeaux en thuya plicata, du toit de la forge située dans le parc du musée cantonal d'archéologie de Neuchâtel, le Laténium, est l'occasion de faire un exercice de corrélation de courbes de croissance entre deux continents. Le thuya plicata provient du Canada et il est aujourd'hui fréquemment employé pour la couverture des toits. Son prix d'achat avantageux (malgré le transport) et sa durabilité exceptionnelle sont deux arguments pour ne pas utiliser du bois indigène. Cette essence, appelée aussi "cèdre rouge", a été également adoptée pour la couverture des trois maisons néolithiques construites dans le parc du Laténium.

Thuya maisons latenium02

Ainsi, ces centaines d'échantillons de cèdre rouge me fournissent la matière première pour créer une très longue courbe. Cette essence, dans sa région d'origine, pousse très lentement et sur une section transversale d'une vingtaine de centimètres, environ 150 cernes peuvent être décomptés. Plusieurs mesures ont été effectuées sur la tranche des bardeaux et la moyenne générale de toutes ces séquences donne une courbe unique longue de 365 ans.

Thuya courbe02

Sur un échantillon des maisons néolithiques, le dernier cerne, qui indique la date d'abattage d'un des thuya plicata, est présent. Sachant que les bardeaux sont posés "frais", ils ne doivent pas être séchés avant d'être posés, la corrélation de la courbe de 365 ans sur les référentiels suisses devrait correspondre à l'année de la mise en place des bardeaux sur le toit des maisons néolithiques. Si tel est le cas et si cette corrélation est obtenue grâce aux calculs mathématiques, alors les référentiels peuvent, lorsqu'ils couvrent plusieurs centaines d'années, avoir une portée "universelle".

Thuya cernes02

La courbe de 365 ans a été calculée sur les 133 référentiels à ma disposition pour les conifères pour la période comprise entre 1000 et 2015 ap. J.-C. La date de 2011 sort 34 fois et surtout elle figure nettement en tête des meilleurs résultats.

Thuya conifere correlation

Avec une distance de 9000 km environ à vol d'oiseau entre les deux régions comparées, le résultat est remarquable puisque la date obtenue, 2011, correspond exactement à l'année de construction des trois maisons néolithiques pour les dix ans du Parc et Musée du Laténium. Il n'est évidemment pas envisageable d'utiliser un référentiel du cèdre rouge canadien pour dater les conifères de notre région.

Thuya plicata

Mais un tel succès dans cet essai dendrochronologique n'est possible qu'en comparant deux courbes de croissance, qui par leur très longue durée, peuvent enregistrer de nombreux signaux dans le domaine de la haute fréquence. La comparaison porte sur les années qui marquent une croissance particulièrement importante ou au contraire nettement plus faible que la moyenne. Et d'après les calculs, certaines de ces années exceptionnelles se retrouvent également outre-atlantique.

 

Bardeaux

 

FIN

 

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