La longue vie du chêne sessile des "Cadolles-des-Porcs", Neuchâtel.
- Par Fabien Langenegger
- Le 22/03/2015
- Dans Dendrochronologie
Le plus vieux chêne sessile de la commune de Neuchâtel situé aux "Cadolles-des-Porcs", a été coupé en automne dernier pour permettre au reste de la chênaie de se développer correctement.
C’est l’occasion de se pencher brièvement sur la longue vie de cet arbre et de parler de cette essence qui depuis fort longtemps a été considérée comme le matériau de construction le plus approprié. Dès l’édification des premiers villages lacustres sur le littoral neuchâtelois, il y 6000 ans, les pieux de fondation des maisons ont été presque exclusivement préparés grâce au débitage de billes de chêne sessile. Les forêts de pieux immergées sont un témoignage de la qualité des chênaies du temps des Lacustres. Les maisons du village de Bevaix-Sud, occupé de -1009 à -952, ont été construites uniquement grâce à des chênes tricentenaires comme celui des «Cadolles-des-Porcs».
Le pied du Jura, comme aujourd’hui, était occupé par de nombreuses chênaies où, semble-t-il, le hêtre ne le concurrençait pas encore si férocement. Un ou deux degrés supplémentaires pour la température moyenne annuelle suffiraient à repousser le hêtre un peu plus haut en altitude et libérer le chêne de cette concurrence. Car toute la difficulté pour le forestier réside à favoriser le chêne qui est une essence de lumière, qui ne supporte pas d’être dominé et qui a une croissance plus lente que la plupart des autres essences. Le vieux chêne de Neuchâtel se trouvait à une altitude de 650m. Une section transversale a été conservée et a permis une étude de sa croissance. Son diamètre, mesuré à 1,30 m de hauteur, atteint 1,20 m au maximum.
La mesure des cernes de croissance a été effectuée directement sur la section complète. Un chemin de mesure, long de 50 cm, a été effectué à la lame de rasoir pour faire apparaître les cellules du bois. A l’aide d’une table micrométrique et d’une loupe binoculaire, la largeur des anneaux de croissance a été mesurée au 1/100e de millimètre. Un total de 290 cernes a été mesuré. Ainsi, en tenant compte de la hauteur de l’échantillon, on peut ajouter quelques années supplémentaires pour obtenir l’âge réel de ce chêne qui a dû commencer de pousser vers 1720 à l’époque où Neuchâtel devenait une possession prussienne. La largeur du cerne moyen est de 1,74 mm avec une fourchette comprise entre 6,21 et 0,71mm.
Un tel arbre fournit au dendrochronologue une courbe de référence remarquable. Il peut lire à travers les cernes l’évolution du développement de l’arbre. En regardant les années défiler, l’impression générale est bonne et la croissance est régulière. En revanche, l’étude de la courbe montre un trend qui, après une bonne période juvénile, fléchit à partir de 1820 et la largeur du cerne annuel ne dépasse que rarement le millimètre pendant une centaine d’années. Le creux maximum se situe entre 1868 et 1874.
Le chêne reprend ensuite de la vigueur pour stabiliser sa croissance vers 1910. Dès 1980, sa croissance augmente encore avec un record en 1994 avec une largeur de 3,05 mm. Sur le dessin, la courbe prend une couleur rouge qui marque le début de la partie du bois vivant, appelée l’aubier. C’est dans cette zone que la plus forte rupture de croissance est observée. Après un cerne en 1999 large de 2,73 mm, la croissance est réduite de moitié en 2000 et continue de chuter jusqu’en 2002 pour atteindre 0.83 mm. La tempête Lothar de décembre 1999 a peut-être fragilisé une partie du houppier de l’arbre qui s'est ensuite cassé pendant l'hiver. Dès 2007, il retrouve toute sa force et 2014, l’année de sa coupe est également une des meilleures années de son développement avec 2,84 mm. Reste que les dégâts causés au houppier a permis à l’humidité de pénétrer dans le centre du tronc et d’activer la pourriture de la moelle. Cette longue courbe est une référence pour l’évolution climatique de ces 300 dernières années du canton et un témoignage important de l’activité des forestiers qui génération après génération ont veillé à lui permettre un essor optimal. Les reprises de croissance constatées sur la courbe sont souvent le résultat positif de ce travail de longue haleine.
Si cet arbre a dû être coupé, un autre chêne sessile tricentenaire, situé non loin de là, au lieu dit «les Perrolets St-Jean» a été classé et pourra continuer sa croissance en toute sérénité. La bille du chêne des "Cadolles-des-Porcs" a été achetée lors de l'adjudication de la vente de bois précieux qui a eu lieu à Colombier en décembre 2014.
Fin
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